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mura-t-elle tout bas, avec un regard débordant de passion.

Elle fut tirée de sa rêverie et de son extase par une jeune Indienne qui, après avoir frappé discrètement à la porte, entra dans la pièce en disant :

— Mademoiselle, le médecin vient d’arriver.

Au son de cette voix, Johanne tressaillit.

Elle fronça les sourcils.

Prise d’un pressentiment extraordinaire, elle crut voir un grand oiseau noir, et de mauvais augure, étendre au-dessus de sa tête blonde ses ailes de malheur.

Elle frissonna.

La vue de la jeune fille lui déplut, à ce moment-là.

Cette Indienne l’arrachait à sa rêverie qui la berçait avec un charme inaccoutumé.

Cette mauvaise messagère la faisait redescendre d’un pays féerique, pour lui rappeler que cet homme en qui elle avait mis toutes ses complaisances était blessé, mourant peut-être.

Et surtout, l’Indienne était belle.

Johanne allait parler, quand Giovanni, avec un soupir, ouvrit les yeux.

C’était le premier signe de vie qu’il donnait depuis l’accident.

Ses regards se portèrent successivement de l’Indienne à Johanne, et de Johanne à l’Indienne.

Il parcourt des yeux toute la chambre, comme un homme qui ne comprend pas.

Puis, il porta la main à son front.

Il ne prononce pas une parole, il n’articule pas un son.

Est-ce un effet de son imagination malade, de sa tête meurtrie, de ses sens abattus, de la fièvre qui le brûle ?

Est-ce une vision de l’au-delà ?

Élevé au hasard des villes et des grandes routes, ballotté par toutes les capricieuses vicissitudes de la vie, pas étranger aux superstitions d’une existence vagabonde, il est plongé, à la vue de cette Indienne superbe, dans un ravissement inexprimable.

D’après ce que lui ont appris, au cours de la traversée, ses compagnons de voyage, il se croit déjà dans le royaume du Grand-Esprit.

Peut-être une divinité indienne est descendue de ce royaume pour qu’il y monte avec elle.

Et même, est-ce une aberration de sa vue fatiguée, il lui semble que cette apparition fascinatrice tient sur lui des regards attendris.

Mais non, c’est une folie.

Il ne peut exister au sein de cette race grossière et nomade, qu’il ne connaît, il est vrai, que très superficiellement pour en avoir entendu dire quelques mots, de femme aussi purement belle.

Alors, lui qui ne se rappelle que comme dans un songe ceux qui lui avaient prodigué les premières caresses de l’enfance, lui, le paria de la vie, lui qui ne connaissait aucune affection pour réchauffer son cœur, il ferma les yeux pour conserver en son âme l’image bénie de cette vision et ce regard qui s’était abaissé sur lui avec commisération.

Ses yeux se sont reportés sur ceux de l’Indienne et ils y restent rivés avec une fixité étonnante.

Dans la pénombre de cette chambre qu’il ne connaît pas, dans le rayon faiblement lumineux de cette bougie qui prête aux objets des contours de rêve, à l’aspect de cette jeune blonde et altière beauté, et surtout de cette Indienne à la grâce si étrangement captivante, il se croit victime d’une hallucination.

Il a donc quitté la terre, enfin.

Il en a fini avec sa vie de misères, de luttes, de souffrances.

Contre l’espoir même, il espère qu’un Dieu bon, qu’il a prié dans son enfance, l’a pris en compassion, et l’a reçu dans un royaume à lui.

Qu’elle était belle dans cette lumière douce avec la couronne de ses cheveux d’un noir éclatant qui descendaient sur ses reins en deux longues et lourdes tresses !

Dans la demi-clarté de la chambre, l’ovale pur du visage était d’un contour indécis et vaporeux, comme ces têtes exquises que les peintres estompent sur le fond de leurs toiles. Le nez était aquilin. La bouche petite, voluptueuse, rouge comme une fraise sauvage, d’un coloris qui s’harmonisait merveilleusement avec le teint de vieil or, appelait les morsures de l’amour.

Jamais on ne vit d’yeux si candides, si noirs, si bien dessillés. De taille moyenne, elle charmait par la