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dans un terrain exotique par les mains inhabiles d’un jardinier novice et maladroit.

Pierre de Castelnay adorait sa fille, mais comme on adore un vase précieux qui fait notre orgueil et que l’on montre avec ostentation aux connaisseurs. Sa vie accidentée de soldat, et son affection désordonnée et mal comprise ne lui permirent pas de donner à son enfant une éducation saine et solide.

Aussi Johanne poussa-t-elle, au gré de sa nature violente et primesautière, avec toutes les qualités et les défauts qu’elle avait apportés avec elle en venant au monde.

D’obtenir sans effort tout ce qu’elle désirait, de voir tous ses caprices spontanément satisfaits, elle en vint à croire que le monde était fait pour elle, et que tout devait ployer devant les fantaisies et les frivolités de son imagination.

Bonne et aimante de sa nature, elle devenait, dans la contradiction, d’une méchanceté surprenante. Rien, alors, ne pouvait l’arrêter, tant qu’elle n’avait pas atteint l’objet de son désir. Sa douceur se changeait en colère, et son amitié en haine. La vengeance grondait dans son sein.

Spirituelle, elle avait contre ceux à qui elle en voulait des réparties terribles.

Ses mots d’esprit ressemblaient parfois à une coupe d’or remplie de poison.

Prompte à s’attendrir sur le malheur d’autrui, elle était envers ceux contre qui elle en avait d’une méchanceté extrême.

Alors, ses coups d’épingle faisaient couler le sang comme des blessures de stylet.

La charité, pour elle, était un plat qu’elle servait chaud ou froid, selon qu’elle était bien ou mal disposée.

Une après-dînée d’hiver qu’elle retournait chez elle après une course, elle est arrêtée près du palais de l’Intendant par une petite, qui, l’onglée aux doigts et les pieds à demi-nus dans la neige, lui demande l’aumône d’une voix grelottante. Sans la moindre hésitation, elle laisse tomber dans cette main bleue de pauvresse sa bourse en mailles de soie pourpre à travers lesquelles brillent les pièces d’or. Non satisfaite de cette aumône, elle enlève ses gants en peau de daim qu’elle donne à la petite mendiante. Sans attendre la litanie de remerciements de cette dernière, Johanne, fière d’elle, poursuit sa route.

Elle n’a pas fait vingt pas qu’elle rencontre Louise de Châtillon, la jolie fille du capitaine de Châtillon, qui commandait l’une des compagnies du régiment de Carignan. Simple question de se venger d’une rivale en beauté, Johanne lui dit que la veille, au bal des officiers du régiment, au château Saint-Louis, elle s’est laissé embrasser par le lieutenant Robert Dumoulin, fiancé de Louise.

Huit jours plus tard, l’infortunée Louise, la mort dans l’âme, prenait le voile chez les Hospitalières de l’Hôtel-Dieu.

Quand la fille du baron de Castelnay avait supplié le gouverneur de la Nouvelle-France, de faire transporter chez elle le jeune et intéressant blessé, ce n’était pas un seul sentiment de pitié, ou de reconnaissance, qui inspirait sa conduite.

Il arrive un moment où tout l’être humain, au cours de son existence, rencontre l’âme qui parle à la sienne, mieux et plus fortement que jamais dans le passé.

Les inconstances de l’avenir n’effaceront jamais l’empreinte de ce moment suprême où une âme se révèle à une autre.

C’est le coup de foudre.

Quelles qu’aient été nos affections, quelque amour que nous puissions nourrir plus tard, oncques, ces grands sentiments ne détruiront la passion qui, un jour, fit palpiter notre cœur si violemment, qu’il en restera jusqu’à la mort un quelque chose suave et mélancolique.

Certains controversistes ont beau ergoter, on n’aime réellement qu’une fois.

On peut croire aimer, on peut aimer même, mais dans l’existence d’un homme, comme dans celle d’une femme, un amour seul demeure, le grand amour, celui-là, qui resplendit parmi les autres comme dans une belle nuit de printemps, la reine des astres au sein de la pléïade de diamants que le Créateur a