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Mais c’était du côté de la Place Dauphine qu’était situé le fameux théâtre de Tabarin.

L’homme qui a voulu se défaire de sa marchandise a, de tout temps, pris les moyens d’allécher et d’attirer l’acheteur. Il a voulu annoncer sa marchandise. Mieux un bon vendeur connaît l’âme humaine, plus il sait exploiter ses côtés faibles, plus enfin, disons le mot, il est psychologue, plus il a de chances de réussir. On ne le répétera jamais assez : le monde est un grand enfant, et quiconque veut atteindre son but ne doit pas le regarder autrement.

C’est ce que comprit, au dix-septième siècle, entre autres, un nommé Mondor, marchand de baume et d’onguent. Partant du principe que le peuple est un enfant, il nous faut d’abord l’amuser. Amusons-le donc et nous obtiendrons de lui tout ce que nous voudrons.

Profond psychologue, Mondor prit à son service un bouffon, célèbre à cette époque, du nom de Tabarin.

Mondor se costumait généralement d’un habit de docteur. Il se couvrait la tête d’un imposant bonnet basque, portait une longue barbe et tenait entre ses mains le fameux onguent, autour duquel pivotait toute la comédie.

Tabarin, lui, le principal personnage, était coiffé d’un bonnet d’Arlequin, vêtu d’une souquenelle et d’un ample pantalon. À sa ceinture était pendue une batte d’Arlequin. Il fléchissait les genoux en y portant les deux mains. Sa figure était recouverte d’un masque.

Et que faisaient ces deux intéressants personnages ?

Tabarin apparaît sur la scène, tréteau ouvert de tous côtés. Il joue le rôle d’un niais et pose à son maître des questions aussi sottes que difficiles. Mondor résout doctoralement ces questions dans des termes scientifiques auxquels personne ne comprend le premier mot. Tabarin, jamais satisfait des réponses du savant, donne des solutions toutes différentes, et plus abracadabrantes les unes que les autres. Mondor rétorque en traitant Tabarin de gros âne, de maraud et de qualificatifs « ejusdem farinae. »

Et voilà tout le mécanisme des scènes que ce charlatan et son valet jouèrent sur leur théâtre durant nombre d’années, et qui y attirèrent toutes les classes de Paris.

Naturellement, il y avait un autre personnage, le plus important celui-là, le grand premier rôle, dirions-nous. C’était le plus souvent une femme, assise à l’arrière-plan, coiffée d’une toque éclatante ornée de plumes. Devant elle, était un grand coffret, ouvert, rempli de pots ou boîtes de baume et d’onguent.

Gaston s’amusait immensément de la mimique et des bouffonneries de Tabarin. Il battait des mains et riait d’un rire qui tintait agréablement aux oreilles de ses voisins comme des clochettes d’argent.

La représentation finie, le comte d’Yville, qui n’était pas sans inquiétude, à cause de la foule qui se ramassait sur le Pont-Neuf, voulut ramener l’enfant chez lui. Mais ce dernier demanda avec tant d’instance d’aller voir les attractions du Pont-Neuf que son père ne put résister à son désir.

Ils étaient là depuis quelques minutes quand, soudain, comme une tempête qui s’élève au milieu d’un grand calme, le Pont-Neuf se couvrit d’un attroupement d’ouvriers et de vagabonds qui se bousculaient pour gêner la circulation des passants.

À cette vue, le comte d’Yville eut l’appréhension de ce qui allait se passer.

Il tenait son enfant par la main.

Pour plus de sûreté, il le prit dans ses bras, et le tint étroitement serré contre sa poitrine.

Il voulait fuir.

Malheureusement, il était trop tard.

À ce moment même, le carrosse de la duchesse d’Elbeuf traversait le pont suivi de plusieurs autres voitures de seigneurs.

Les carrosses sont, en un clin d’œil arrêtés, pillés, mis en pièces.

Le comte d’Yville est emprisonné dans la foule.

Ses vêtements sont en lambeaux.

La foule ameutée crie, hurle, rage.

Femmes et enfants sont foulés aux pieds.