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teur insolente, et se terminait par une superficie luisante et unie, quelque chose comme une patinoire, qui, par les belles journées, servait de lieu de récréation en plein air à des insectes aussi multiples que variés. J’allais omettre d’ajouter que ce cylindre poilu était entouré à sa base d’un large cercle concave gracieusement replié sur lui-même, comme la proue d’une pirogue indienne.

Mais si je n’ai pas perdu la mémoire du tuyau de poêle de mon oncle Césaire, j’ai encore meilleure souvenance de ce dernier. Je vivrais cent ans, que je le verrais toujours présent à mes yeux, tel que je l’aperçus pour la dernière fois dans la forge de Lucien Gagnon dont la réputation de maréchal ferrant excellent, de bon garçon, et de lutteur herculéen, s’étendait à dix lieues à la ronde.

Césaire Lahaye portait allègrement ses soixante-deux ans bien sonnés. C’était un homme petit, maigrelet, chauve, précieux, la barbe en éventail si clairsemée que ça ne valait pas la peine d’en parler. Monsieur et Madame Lahaye, dont il avait été l’unique rejeton, partant le seul héritier, lui avaient laissé à leur mort, survenue à deux ans d’intervalle, une des plus belles terres de Bécancourt, à un demi-mille en haut de l’église. Le jeune Césaire, à cette époque décisive de sa vie, venait de sortir bon vingt-troisième de sa rhétorique, bien qu’il eût décroché un quatrième accessit de discours français. Il ne se sentait guère d’attrait pour la très noble et très patriotique vocation du laboureur, voca-