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lette choqués les uns contre les autres. Il a dépassé l’église et se trouve en face du cimetière. Cette fois, il ne se trompe pas. Là, à une cinquantaine de pieds, au sein des pierres tumulaires, a surgi un fantôme devant ses regards agrandis par l’épouvante. À demi-voilée par les nuages, la lune lui montre, embrouillée comme dans un cauchemar, menaçante, accoudée à un tombeau, la taille grêle de mon oncle Césaire coiffé de son castor grand, très grand, énorme. Les jambes du coupable fléchissent sous son corps. Sa vue s’obscurcit. Les vapeurs dont son cerveau est plein lui montrent le formidable spectre qui grossit, grossit, grossit. Épouvantable, le castor a pris des proportions démesurées. Il est haut comme l’église. Il se penche en avant comme au temps où mon oncle Césaire se fâchait. Et, des profondeurs des ténèbres et des tombeaux, sort une voix caverneuse, courroucée, vengeresse.

Alors, l’infortuné ne sait plus ce qu’il fait. Il est fou d’horreur. Il sent le poids de son fusil sur son bras. Il épaule au hasard. Il presse la détente. On entend un coup de feu retentissant suivi d’un sinistre cri de douleur, un gémissement qui n’a rien d’humain.

Et les gens du village, réveillés en sursaut, mettent la tête aux fenêtres et aux lucarnes, et voient dans la nuit un géant tout noir fuir avec la rapidité du vent.

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