de ce côté-là de l’église, et lui à l’autre extrémité du village, à quelques arpents en de ça du pont rustique de l’Île. Il était minuit, heure solennelle, heure des drames et des mystères. Pour rien au monde, l’ancien ami de mon oncle Césaire n’eût avoué sa peur. Et cependant, rien qu’à songer qu’il lui faudrait franchir seul, à cette heure de la nuit, — dans le mois des morts, — cette longue route, il sentait une sueur froide moiter toute son écrasante corpulence.
Son fusil sur l’épaule, il partit.
Il fait une nuit noire. Le ciel est balayé en tous sens de nuages qui prennent les formes les plus sinistres, trouées de temps en temps par des apparitions fugitives d’un morceau de lune terne. Pour une conscience inquiète, le moindre bruit, l’objet le plus insignifiant prennent des proportions anormales, surnaturelles, redoutables. À chaque pas, le piéton, aux grandes jambes lourdes, le cœur battant à lui rompre la poitrine, voit surgir des fantômes tout noirs, aux dimensions atrocement gigantesques, qui ne sont autres que des arbres ou des massifs de bosquets. Ou bien encore, il entend des miaulements lugubres, des rugissements de damnés, des hurlements infernaux. C’est le vent tapageur qui fait grincer les girouettes, craquer les branches sèches et dénudées des arbres, claquer les volets.
Soudain, ô horreur ! le forgeron s’est arrêté tout court. Il ne peut faire un pas. Ses membres sont ankylosés par une terreur indescriptible. Ses rares dents claquent dans sa bouche comme les osselets d’un sque-