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Dieu, misérable crâne souvent maudit par l’étudiant qui se heurte aux aspérités de ta conformation, d’où viens-tu ? Toi, dont le rictus hideux s’est éteint sur un lit d’hôpital, qui te porta ? L’un de ces gueux nomades, peut-être, dont les loques cachent mal le cœur d’un honnête homme et dont le chapeau déchiqueté, par où entrent comme dans une gargouille la neige, la pluie et le soleil, abrite mal un génie que l’envie ou l’indifférence n’ont jamais voulu reconnaître.

Infortuné, quelles pensées vicieuses ou quelles nobles aspirations ont germé dans ta boîte osseuse ? Quelles trompeuses illusions, quels déboires t’ont usé ?

Que tu aies été bon ou méchant, paix à ta mémoire, surtout si tu as pleuré.

(Il dépose le crâne sur la table et sort un éventail de la malle.)

Qu’est-ce ? Un éventail. Salut, coquet éventail qui si souvent tamisas le flirt et l’étincellement de deux grandes prunelles noires. Pauvre petite, elle n’avait pas vingt ans et, depuis un mois à peine, elle dort dans ce froid charnier aux murs suintant les pleurs hypocrites de la mort, charnier dont la porte est gardée par deux squelettes.

Hélas ! que j’en ai vu mourir de jeunes filles !
C’est le destin. Il faut une proie au trépas,
Il faut que l’herbe tombe au tranchant des faucilles ;
Il faut que dans le bal les folâtres quadrilles
 Foulent des roses sous leurs pas.