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Mme Beaudry. — Et que dira le monde ?

Lionel. — Oh, voilà ! le grand mot est lâché. Que dira le monde ?… Le respect humain, voilà l’épouvantail !… Le monde, la mode, commandent de s’habiller de noir durant un certain laps de temps, on obéit comme de bonnes bêtes à cette tyrannie… Pas un n’a la force de caractère de se soustraire à cette obsession. Pensez-vous pour un moment que s’il vous arrivait de perdre un être adoré, alors que vous seriez dans les profondeurs des bois, vous en éprouveriez moins de chagrin, pour ne pas modifier la nuance et la coupe de vos robes du soir au lendemain ?…

Et du reste, on ne porte du noir, en marque de deuil, que dans l’Europe et l’Amérique chrétienne. Vous n’ignorez pas que les Turcs ont opté pour le bleu ou le violet, les Égyptiens, la feuille morte, les Abyssins, le gris, les Japonais et les Chinois le blanc. Preuve de plus qu’il ne s’agit que d’une mode aussi ridicule que les merry widows, les cuvettes et les épingles qui nous crèvent les yeux.

Que je plains, enfin, les nombreuses familles pauvres condamnées toute leur vie durant à des dépenses superflues pour mettre au rancart, à des intervalles rapprochés, leurs vêtements ordinaires qu’elles remplacent par le deuil du grand-père, de la grand-mère, du père, de la mère, des enfants, du beau-père, de la belle-mère, des beaux-frères, des belles-sœurs et de toute la lignée !…