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— Bonjour, mes amis, répondit le petit vieux, en parcourant la forge du regard.

Un grognement inarticulé partit de l’établi où étaient assis les deux cultivateurs.

— N’est-ce pas, Lucien, qu’il fait chaud aujourd’hui ?

— Chaud ! j’ai pas le temps de m’occuper d’ça, moé. C’est bon pour des gros messieurs comme vous.

— Tiens ! voilà encore ce bon Lucien qui veut me pointiller. Ne dis donc pas de bêtises, espèce de gros mufle !

Dans un mouvement de gaieté, le forgeron, pour toute réponse ; saisit mon oncle à la ceinture, d’un seul bras, et l’assit sur son enclume, comme il l’eût fait d’un poupard.

Mon oncle ne goûta pas la farce. L’enclume n’était pas encore refroidie, et ce mouvement désordonné avait fait perdre l’équilibre à son castor, qui alla rouler avec un cri plaintif sur un tas de vieilles ferrailles.

L’auteur du mal et les deux cultivateurs s’élancèrent en avant pour ramasser le couvre-chef endolori par la chute.

Mon oncle passait son grand mouchoir écarlate sur les poils rebelles et couverts de poussière avec une sollicitude toute paternelle.

Il expliqua :

Je vais dire comme on dit, ce castor-là est pour moi comme le Bucéphale du grand Alexandre.

Mon oncle Césaire avait de son passage au petit séminaire de Nicolet gardé un souvenir impérissable de ses belles-lettres et de sa rhétorique. Confondant dieux,