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Sous le choc du marteau volaient les étincelles. Deux chevaux de trait, la tête basse, la crinière longue, la queue rasant la terre, attendaient, attachés par un licou à deux gros anneaux en fer. Leurs maîtres, deux villageois de Sainte-Angèle-de-Laval, fumaient sans mot dire, assis sur l’établi. Près de la croisée, étaient suspendus les marteaux, les masses, les limes, les tenailles et la boîte en bois dans laquelle, frappés par un rayon de soleil traversant un carreau sale et poussiéreux, où une araignée achevait de tisser sa toile, brillaient les clous en lamé de stylet à grosse tête ronde et plate. De vieux fers rouillés étaient amoncelés dans un coin. Tout près de la porte, un travail de faucheuse mécanique, rompu aux trois-quarts. Un terre-neuve, au long poil noir et soyeux, reposait au pied de l’enclume, le museau allongé sur les pattes, les yeux à demi-fermés.

Et Lucien Gagnon tapait dur. C’est que le maréchal de Bécancourt était un colosse. L’antiquité payenne en eut fait un fils de Vulcain, chargé de ferrer les coursiers des dieux. Il tapait dur. La sueur coulait le long de son visage noirci par la fumée, de sa poitrine et de ses bras nus et velus, mordillés par les étincelles. À chaque coup de marteau, ses muscles jouaient comme des serpents entrelacés. Il martelait sans relever la tête.

Quand l’étique charpente de mon oncle Césaire parut dans le large encadrement de la porte, le maréchal posa son marteau sur l’enclume, et s’essuya le front avec son tablier taillé dans une peau de mouton. Alors, on vit à la lueur mourante de la flamme du foyer, un visage doux et terrible.