— Ah ben, par exemple, bégaya-t-il, viens pas m’dire que j’ai triché ! Tu sais, Bigué, il y a plus qu’vingt ans qu’on fait la partie ensemble. On s’est ben dit des p’tits mots qu’autant en emportait le vent, mais jamais ça, non jamais ça !
Bonsoir, ajouta-t-il, en essuyant une larme du revers de sa main poilue, j’m’en vas !
Les villageois, qui assistaient à cette scène muets d’étonnement, et n’osaient intervenir, croyaient que leur maire allait retenir son vieux compagnon d’armes et l’empêcher de partir.
Mais Bigué répondit avec colère :
— V’là qu’tu fais des façons à présent comme une femme. Sur quelle herbe que t’as pilé ? J’ai tu pas le droit de dire ce qui me plaît. Si t’es pas content, mon vieux, tu sais ce que t’as à faire !
Celui-ci mettait ses lunettes dans son étui. Il s’arrêta court.
— Est-ce que par hasard tu voudrais ?… Il n’osa achever, alarmé de dire tout haut ce qu’il pensait tout bas.
— J’veux ce que j’veux. Ça fait ben des fois que j’te passe tes caprices, j’en ai assez. Encore une fois, Brunel, si t’es pas content, si mon verbe te va pas, eh ben ! t’as qu’à rester chez vous !
Et tournant le dos à son ami de vingt ans, le maire, le marguillier et le joueur de dames rentra à la maison en faisant claquer la porte par-dessus lui.