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Françoise pâlit et s’accouda à la clôture du calvaire.

— Vois-tu, poursuit Abel, après quelques instants d’un silence atroce pour les deux, j’me sentons pas d’inclination pour le mariage… et puis… et puis… c’est à peine si j’pouvons gagner de quoi vivre tout seul… Plus ça va, moins la morue paye… Et si j’t’épousions, Françoise, j’voudrions tant de belles choses pour toé !…

La jeune fille se tait.

— Encore, si j’avions l’espérance de faire de l’argent comme mon frère Jacques… À propos, Françoise, comme j’étions décidé à rester une jeunesse, et que j’aimions ben Jacques, j’serions si content de vous voir convoler…

Elle, la tête basse, ne dit mot.

Le pêcheur, de plus en plus mal à l’aise de ce silence continue :

— Jacques m’a souvent paru te trouver de son goût… T’es si jolie qu’tas ainq’ l’embarras du choix !…

Abel parle, parle, mais c’est une cloche fêlée qui rend un son lugubre.

Françoise est toujours muette.

— Veux-tu que je lui parlions à ton sujet ? demande le fils de Rémi, qui lève les yeux vers le calvaire pour ne pas regarder la jeune fille.

Françoise la blonde tend alors la main au pêcheur :

— Au revoir, Abel, il se fait tard… Nous recauserons de cela demain, veux-tu ?…

— Bonsoir, Françoise…

Abel sent un frisson terrible secouer ses membres.