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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

trompe si complètement le cyclope. Mais qu’est-il besoin de commenter ce qui est si nettement expressif ? Chacun saisit sans aucune peine cet heureux mélange d’un comique naïf et spirituel et d’une émotion qui se partage entre les deux personnages : entre les deux, car nous sommes tout surpris de la sympathie que nous éprouvons pour le monstrueux berger, en découvrant dans ce cœur fermé à tous les sentiments humains ces liens naturels d’affection qui l’unissent au compagnon de sa vie sauvage.

Les longues scènes qui se passent dans la cabane d’Eumée offriraient de même plus d’une expression des sentiments propres aux mœurs pastorales, plus d’un tableau dans le genre de l’idylle champêtre. Il en est un qui m’a toujours particulièrement charmé par son caractère de vérité intime. Il nous peint les jouissances de l’hospitalité pastorale sur l’âpre rocher d’Ithaque et dans la dure vie qu’y mènent les bergers. Pendant une longue et froide nuit d’hiver, Ulysse et son hôte prolongent la veillée, tandis que les porchers en sous-ordre dorment ; ils mangent et boivent en écoutant tour à tour le récit de leurs aventures feintes ou vraies : « Nous deux dans la cabane, buvant et mangeant, charmons-nous l’un l’autre par le souvenir de nos souffrances ; car les douleurs aussi sont plus tard pour l’homme une