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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

comme naturelle de ses émotions. Dans cette science nul n’a surpassé ni peut-être égalé Sophocle, et son personnage d’Antigone est le plus étonnant exemple de cette heureuse conciliation de l’idéal et de la réalité.

Gardons-nous donc de dégrader cette noble créature, parce que nous découvrons qu’elle tient à l’humanité par quelque mouvement de colère ou d’orgueil. Gardons-nous aussi de nous autoriser contre elle, à l’exemple de Boeck, des condamnations que ne lui épargne pas le chœur au moment où elle va mourir : « Tu as poussé l’audace jusqu’au dernier excès, tu as heurté le trône élevé de la justice… La piété a ses devoirs, mais il ne faut jamais enfreindre les ordres de qui a le pouvoir… C’est l’obstination aveugle de ta passion personnelle qui t’a perdue. » Et il croit reconnaître dans cet égarement et cette chute le fatal héritage d’Œdipe.

Qui ne sait qu’en général le sens des paroles du chœur est déterminé par la situation dont ce personnage inconsistant reçoit l’impression extérieure ? Bientôt ces mêmes vieillards qui le composent, troublés par les menaces de Tirésias, conseilleront à Créon de délivrer Antigone : quel est donc leur vrai sentiment ? Maintenant ils sont effrayés par la vue du coup qui va la frapper, et leur pitié incomplète condamne la victime ; mais