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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

ble se recueillir au plus profond d’elle-même et y sentir un état mystérieux qui déjà dans la région de la mort l’unit à sa triste famille.

Il y a un passage sur lequel se sont beaucoup exercés les interprètes modernes, et qui en effet paraît étrange. Dans la scène, d’ailleurs si pathétique, où Antigone exhale ses plaintes avant de mourir, se trouve une explication de sa conduite. Ce qu’elle a fait pour son frère, dit-elle, elle ne l’aurait pas fait pour ses enfants, si elle avait été mère, ni pour son mari, si elle avait été épouse. Aucun de ces deux malheurs n’eût été irréparable, car elle aurait pu se remarier et avoir d’autres enfants ; mais, comme son père et sa mère ont cessé de vivre, un autre frère ne peut pas remplacer ceux qu’elle a perdus. Quoi de plus froid qu’une pareille justification ? Aussi des critiques très autorisés rejettent-t-ils ce passage comme apocryphe. M. G. Dindorf va même jusqu’à supprimer pour des raisons de style presque tout le couplet dont il fait partie, supposant qu’une longue déclamation a été substituée à quelques vers originaux par un interpolateur ancien, peut-être par Iophon, le fils de Sophocle, plutôt par quelque mauvais poète inconnu. Le remède est radical, et l’hypothèse à peu près gratuite. Il faudrait sauver de cette sentence au moins les derniers vers, qui sont d’une incontestable beauté et se lient étroitement à ceux