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ÉTUDES SUR LA POÉSIE GRECQUE

nous touche par son dévouement, par son exaltation, par sa faiblesse, par sa mort ; elle a toute notre sympathie, et Sophocle a voulu qu’elle l’obtînt. Comme le remarque très bien M. Woolsey, non seulement l’effet direct de son rôle, si pathétique, nous inspire cette sympathie, mais nous y sommes disposés par la plupart des autres rôles : l’amour d’Hémon et son plaidoyer, les efforts de la timide Ismène pour partager la destinée de sa sœur, les sentiments mêmes du gardien malgré sa nature vulgaire, ceux du chœur malgré sa prudente mobilité, l’intervention de Tirésias, nous la font aimer et plaindre, lui concilient encore notre admiration, enfin la justifient. Ainsi un courant bien sensible traverse tout le drame et nous entraîne dans un sens favorable à l’héroïque jeune fille.

Sophocle lui-même pouvait-il avoir une autre pensée ? Le merveilleux instinct poétique de la Grèce, qui a mêlé tant de délicatesse et de tendre émotion aux mœurs barbares et aux sombres catastrophes de son antique épopée, avait trouvé le premier la plus heureuse conception. De cette race de Laïus, souillée par l’inceste et fatalement vouée aux crimes les plus odieux contre la sainteté de la famille, il avait fait naître une jeune fille dévouée jusqu’au sacrifice de la vie à ces mêmes devoirs violés par les siens : forme bien touchante