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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

més, que c’est sans doute pour cela qu’ils s’empressèrent, dès l’année qui suivit la représentation d’Antigone, d’élire au nombre de leurs stratèges un poète d’aussi bon conseil. Voilà comment Boeckh explique le renseignement ancien qui nous apprend qu’un succès littéraire fut transformé par le peuple en titre décisif à une fonction politique, et il introduit sans hésiter cette supposition parmi un grand nombre d’observations justes que ne pouvait manquer de lui suggérer sa profonde connaissance de l’antiquité hellénique.

Il faut avouer que, pour être présentées sous une forme plus accessible que celles de Hegel, les idées de Boeckh n’en sont pas moins singulières. Quoi ! tel est bien le vrai sens du rôle d’Antigone ! Quoi ! lorsque la puissante et pure imagination de Sophocle créa cette noble figure, il voulait en faire un exemple instructif de la folie humaine ! Et ce qui lui concilia les spectateurs athéniens, ce ne furent pas les pleurs d’admiration et d’attendrissement qu’il leur fit verser, ce fut le spectacle salutaire d’une faute suivie de son châtiment ! Il semble difficile de déplacer plus étrangement l’émotion dramatique, et de mieux montrer comment un parti pris ou une malheureuse préoccupation logique peut fermer les meilleurs esprits aux impressions les plus naturelles. En réalité, tout lecteur non prévenu est pénétré de ce sentiment : Antigone