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L’ANTIGONE DE SOPHOCLE

Créon ; elle est elle-même de la maison royale et la fiancée d’Hémon (fils de Créon) : elle doit donc obéissance au prince. Cependant Créon, de son côté, est père et époux ; il doit respecter la sainteté des liens du sang et ne pas prendre la défense de ce qui est opposé à cette piété. Ainsi tous deux renferment en eux-mêmes ce contre quoi ils s’élèvent chacun à leur tour, et ils sont saisis et brisés dans cela même qui appartient au cercle de leur propre existence. Antigone subit la mort avant de goûter les douceurs de l’hyménée ; mais Créon aussi est puni dans son fils et dans sa femme, qui mettent fin à leurs jours, l’un à cause de la mort d’Antigone, l’autre à cause de celle d’Hémon. Aussi, parmi les chefs-d’œuvre de l’art dramatique ancien et moderne (je les connais passablement, et chacun doit et peut les connaître), l’Antigone me paraît, sous ce rapport, le plus parfait et le plus excellent[1]. »

Ce qui domine encore dans la théorie dramatique de Hegel et dans son appréciation esthétique de l’Antigone, c’est une vue de haute morale sociale. Il la suppose chez Sophocle et fait consister l’art du poète dans un système d’oppositions symétriques et de déductions rigoureuses qui la met en évidence. Est-il besoin de remarquer combien cette

  1. Esthétique, t. III, ch. 2, traduction Bénard.