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LE MÉLODRAME 43

tère d'ancien régime. Guilbert de Pixerécourt avait soixante-quatre ans, lorsque lui arriva cette manière de bénédiction, offerte encore d'une façon âpre par ce grand vieillard presque centenaire.

Vous m'avez trouvé plus que sévère, mon lils, et, sans doute vous m'avez blâmé. C'était l'ancienne habitude... la jeunesse doit être assouplie dès sa plus tendre enfance, souvent morigénée, et surtout habituée à l'obéissance, sans laquelle je ne connais point de société possible. Faute de ce frein indispensable, on ne comprend bientôt ni les devoirs, ni les droits.'

Vous et vos camarades de classe (1), vous avez été nourris dans le respect. Tous ont réussi dans le monde ou ont bien gouverné leur fortune. Je n'en connais pas un qui ait man- qué à l'honneur et ait fait rougir la Lorrame. 11 y a soixante ans, on ne tutoyait jamais les enfants, encore moins leur était-il permis de tutoyer leurs père et mère. Les enfants, en présence de leurs parents, étaient soumis, silencieux, attentifs, empressés : en un mot, ils grandissaient avec le sentiment de leurs devoirs. La révolution a changé tout cela... 11 faut le dire avec douleur, la morale et l'éducation ont perdu toute leur inlluence. Les enfants gâtés sont sans fond, exigeants, indociles et dépourvus de sensibilité ; ils n'aiment qu'eux.

Voyez les résultats dans toutes les classes ; ils sont la suite nécessaire de la première éducation. Nous venons de voir un monstre de neuf ans qui a fait avaler des épingles à sa petite sœur. Plus loin, une jeune fille de treize ans, l'âge de la candeur et de l'innocence, vient d'assassiner sa mère. Chaque jour des crimes atroces, innombrables, épou- vantent la terre. Le .lournal de Brest vient de nous appren- dre qu'il existe au bagne, et à la fois, quatorze parricides, qui n'ont même pas été condamnés à mort. Quel torrent dévastateur ! Il veut nous engloutir ; il deviendra avant peu la perte de la France... De toutes parts, la société est en- dissolution, chacun le sait, le voit et en gémit...

Ainsi le vieil homme, sur le point de quitter le monde, s'adressant à son fils, chargé d'années à son tour, ne regrettait-il rien de sa rudesse, et s'endormit- il persuadé qu'il avait eu raison d'affecter tous les

(1) Parmi ces camarades, il y eut Lsabey. Drouot, Haxo. le journaliste et auteur dramatique Hoffmann.