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42 LE MÉLODRAME

Son enfance avait été assez triste, et sa jeunesse accidentée s'était ressentie des orages révolutionnaires. René-Charles-Guilbert de Pixerécourt était né, en 1773, d'une vieille famille lorraine (1) ennoblie par lettres de Léopold P, données à Lunéville en 1712. Son grand- père avait été conseiller intime de Charles de Lorraine, et un de ses oncles, le docteur en théologie René Guil- bert, avait rempli les fonctions d'aumiônier auprès du roi de Pologne, Stanislas. Son père avait été capitaine- major au Royal-Roussillon.

Le major éleva son fils d'une façon extrêmement rude dont, sexagénaire, Pixerécourt se souvenait en- core avec quelque amertume. Il le traitait en recrue, brutalement, et, pour le punir de n'avoir pas eu de récompense scolaire en sixième, voulait le faire en- fermer dans une maison de force, où l'on conduisait les jeunes gens prisonniers en vertu d'une lettre de cachet. Il se piquait de tremper le caractère de l'en- fant en le soumettant à des épreuves prématurées, et en le lançant seul, à onze ans, après l'avoir armé d'un inutile fusil de chasse, au milieu d'un pays dévasté par l'inondation. Un maître plus doux, le préfet du Collège de Nancy, Chameroy, s'intéressa à lui et fît de lui un brillant lauréat, à qui ses couronnes don- naient l'honneur de prononcer, à la fin de l'année de rhétorique, le discours aux notabilités de la ville, insti- tution qui datait d'une ordonnance de Stanislas. Le major, cependant, n'eut pas un mot de félicitation pour son fils.

Ce père, dont la sévérité ne s'était jamais démentie, devait mourir, âgé de quatre-vingt-quinze ans, en 1837. Ce ne fut que peu de temps avant sa fin qu'il crut devoir justifier sa conduite, en une lettre qui ne laisse pas d'être curieuse, en peignant bien un carac-

(1) La famille de Pixerécourt portait d'azur, à la couronne de laurier d'or, au chef d'argent chargé de trois étoiles du champ. {Dictionnaire des Maisons nobles de France.)