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'^0 LE MÉLODRAME

souvenir des châtiments impl'acablement distribués h la Galté ou à l'Ambigu, inspirer de prudentes ré- flexions.

Il paraîtrait assez monstrueux, aujourd'hui, qu'il y eût un art pour le peuple, une langue pour le peuple, de moyens scéniques pour le peuple. Les représenta- tions populaires des chefs-d'œuvre classiques attestent que la foule est parfaitement accessible à la beauté pure, et ces anciennes théories de la nécessité d'un art secondaire sont en contradiction absolue avec nos idées actuelles. Mais il ne s'agit ici que d'histoire drama- tique, et peut-être faut-il admettre qu'il y eut de bonnes raisons à ce théâtre de transition. Le pauvre mélo- drame d'antan, qui semble aujourd'hui comique où il ne pensait pas l'être, fit l'éducation du parterre et des galeries, éveilla bien des curiosités, et, quand il aborda les sujets historiques, apprit, d'une façon un peu étrange parfois, des noms devant être connus de tous.

Mais il eut un autre rôle aussi, auquel n'avaient pas songé ses fondateurs, en si bons termes avec la Provi- dence qu'ils l'avaient toujours à leur disposition. Ce peuple, à force d'entendre parler de justice en des ti- rades solennelles, eut soif de cette justice, pour lui- même ; à force d'assister à la lutte des faibles contre les forts, vaincus et désarmés, au dénouement, il pensa à son propre sort, et s'avisa d'espérer avoir son tour, lui aussi. Cette foule se compara à l'héroïne persé- cutée, et rêva à un sauveur lui rendant ses libertés. Le despotisme se plaisait à la voir courir au spectacle ; il encourageait, au besoin, ses plaisirs, de crainte qu'elle ne pensât. Ces pièces qu'elle allait voir sem- blaient inoffensives, avec leurs péripéties frisant sou- vent l'absurde. Mais, en réalité, l'œuvre révolu- tionnaire se poursuivait, obscurément, à l'insu des auteurs qui croyaient n'offrir à leur public que des aventures romanesques, des fictions, n'ayant qu'une