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160 LE MÉLODRAME

le faire, ce mélodrame ? Quelle poétique consulter ?... Etu- dier les maîtres, tâcher de surprendre leur secret dans leurs cinivres. O Guilbert de Pixerécourt, ô Caignicz, ô Victor Du- .cange, Shakespeares méconnus, Gœthes du boulevard du Temple... Avec quel soin pieux, quel respect filial nous avons étudié vos conceptions gigantesques, oubliées de la géné- ration précédente... Pourtant, après plusieurs mois de con- templation et de rêverie, nous avons craint, si nous adop- tions le style et le goût de ces hommes illustres, d'être ac- cusés de pédanterie et d'archaïsme... La langue, depuis ces grands maîtres, a beaucoup varié, et un ouvrage composé dans le dialecte dont ils se servaient n'eût peut-être pas été compris sans glossaire, autre inconvénient pour la scène... Des maîtres anciens, nous avons passé aux maîtres mo- dernes... Vos brochures, achetées chez Marchant, char- geaient notre table, ô Bouchardy, ô Francis Cornu, Des- noyers, ô d'Ennery, maîtres puissants et compliqués dont les charpentes, plus enchevêtrées que les forêts de poutres de clochers de cathédrales, nous ont coûté tant de laborieuses épures, lorsqu'il fallait les reproduire dans notre feuilleton...

Gautier marquait là, en souriant, la différence de procédés entre les fondateurs du mélodrame et leurs successeurs, non pas beaucoup plus soucieux de vrai- semblance, mais infiniment plus touffus, moralistes, sans doute eux aussi, à leur manière, mais arrivant à leur moralité par des moyens parfois plus détournés. D'autres, d'ailleurs, si ceux qui avaient été encore à la grande école continuaient à faire triompher l'inno- cence, ne craignaient pas de jeter sur les scènes où le traître avait été invariablement puni, des paradoxes sociaux, soulevaient d'autres passions, s'attaquaient aux lois, reniaient les vieux principes acceptés long- temps comme des vérités. C'est une autre ère qui com- mence.