Page:Ginisty - Le Mélodrame, Michaud.djvu/16

Cette page n’a pas encore été corrigée

10 LE MÉLODRAME

quelque pierre restée debout, c'est avec douceur, en effet, que je traiterai le mélodrame, pour tout ce qu'il rappelle de sensibilité dépensée, jusqu'au détriment de la raison, de frémissements d'horreur, au spectacle d'innocents persécutés, de désirs — toujours satisfaits, d'ailleurs, — du châtiment du traître, de foi ingénue dans une justice distributive, qui ne manquait pas au dénouement, pour tout ce qu'il y avait de sentiments gé- néreux en éveil, durant le cours de la représentation.

11 serait trop facile de sourire des exagérations, des invraisemblances, voire des absurdités, dont le mélo- drame était prodigue, de ses moyens hasardeux, de la solennité des aphorismes qu'il jetait, de ses monolo- gues, souvenirs et legs des temps où les petits théâtres, de par la persécution des grands, étaient obhgés d'avoir recours à mille artifices, pour secouer leurs en- traves, de ses formules, de ses tirades: peut-être vaut- il mieux se reporter à l'époque où il fleurissait et cher- cher les raisons de son succès.

Evidemment, ces formules nous paraissent à bon droit naïves. Le mélodrame fut pourtant une bonne école de construction dramatique. Il donna carrière à la faculté de l'imagination ; avant d'avoir, lui aussi, sa discipline, il avait secoué de vieilles règles étroites, et il apporta de la liberté à la scène. Le romantisme, qui le méprisa superbement, parce qu'il était « fatal », tandis que le mélodrame était essentiellement moral, pourrait bien lui devoir beaucoup (1) et, après tout, lui emprunta, sous d'autres couleurs, nombre de ses pro-

(1) Il y a, dans le Livre des Cent et un, une page assez spiri- tuelle du vaudevilliste Brazier, qui constate que le romantisme a eu tôt sa phraséologie, comme le mélodrame avait eu la sienne, « On ne dit plus, il est vrai, écrit-ll : Monstre, tu recevras le châtiment de tes forfaits!... Gardes, qu'on le charge de fers... Scélérat, apprends que tôt ou tard le crime est puni... Mais le moyen-âge a débordé partout comme un torrent et on n'en- tend plus que ces mots : « Mignons !... compagnons !... Ma dague!... Truands!... Malédiction!... Pitié!... arrière!... à la hart!... à la rescousse! »