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140 LE MH.LODRAME

mois de prisooi. Dans ce roman, Valentine, il avait fait allusion aux massacres royalistes du Midi.

Quand il eut flni sa peine, qu'il accomplit à la Force, il fonda un petit journal hebdomadaire, le Diable rose, dont le premier numéro parut le 12 avril 1822. Le prospectus en était vraiment bien innocent : c'était une manière de conte. 11 est évidenmient bien oublié au- jourd'hui. Il peut être piquant d'en citer quelques passages pour montrer le journaliste en l'auteur dra- niaiique et avec quelle discrétion, alin de ne pas éveil- ler les inquiétudes, le Diable rose était obligé d'annon- cer son apparition. Sans doute, à ce moment, y avait- il quelque adresse à se faire si petit, pour essayer de jeter quelques vérités :

Un beau matin, Lucifer s'éveilla de fort bonne humeur. Ce fut fort étonnant. Il avait bien dormi : chose encore plus surprenante. Hélas ! sommeil de prince frise un peu le cau- ciîcmar, et le réveil des rois, dit-on, n'est pas toujours cou- leur de rose. Enfin, par un prodige inouï aux lieux bas, le monarque cornu du royaume infernal était fort rayonnant; sa face, bien qu'étant un peu noire, était épanouie, et son front sourcilleux, dont le seul mouvement fait trembler les abîmes, ce jour-là déridé, semblait sourire sous ses cornes.

Tout l'enfer accourut au lever du monarque, et chacun composant son air et son visage, se demandait tout bas, non sans quelque frayeur : qu'est-il donc arrivé ? Quoi, Sa Majesté rit ! et néanmoins, tous les sujets du royaume in- fernal, démons-ministres, démons-conseilleurs, démons- courtisans, démons-valets de même espèce, grinçaient des dents pour faire semblant de rire, car il faut, à la cour, dans tous les cas, imiter le prince, et frémissant dans l'âme (âmes damnées, bien entendu), attendaient l'explication de la royale hilarité.

Or, Lucifer avait rêvé, et d'un songe enchanteur son es- prit était encore rempli. Il raconta la chose à peu près en ces termes :

« J'étais, dit-il à l'assemblée cornue, j'étais dans un séjour que mes yeux éblouis prirent pour le Paradis. C'était une cité d'une immense étendue, une foule innombrable circu- lait de toutes parts, j'errais dans ses flots et, me laissant guider par mou heureux destin, je contemplais les chefs- d'œuvre des arts, ou plutôt leurs miracles ; j'admirais tour