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ministre de l'Instruction publique de Louis XVIII, à Guilbert de Pixerécourt, que de larmes vous m'avez fait verser, dont je vous remercie ! » Dans les familles bourgeoises, on donnait aux filles qui naissaient le prénom des héroïnes du mélodrame, et il y eut un nombre incroyable de Cœlina. Ceux qui affectaient quelque scepticisme en étaient quittes pour aller aux théâtres du boulevard en cachette[1]. En vérité, le mélodrame eut un grand crédit qu'on peut mesurer à la légende qu'il a laissée, où se mêle, quoi qu'on en ait, un peu d'attendrissement.

« Il est, a écrit Tolstoï, des institutions vieillies qu'il faut traiter avec douceur. » Je considérais, tout à l'heure, une lithographie de Pruche, dans sa série sur le public des théâtres, montrant des spectateurs de mélodrame, prodigieusement attentifs, anxieux, s'abandonnant à leur émotion, portant leurs mouchoirs à leurs yeux, ou pleurant sans vergogne. Le bon public, et les bonnes soirées, qu'évoque ce dessin, sentant la vérité, et qui serait un pittoresque témoignage, s'il n'en existait tant d'autres, de l'action sur les foules, de ces pièces qui nous semblent pour le moins étranges, aujourd'hui !... En conviant le lecteur à cette promenade parmi des ruines, où surgit, par hasard.

  1. Se reporter au passage des Mémoires de Fleury : « Les boulevards faisaient fortune, les dames de la nouvelle France donnèrent l'impulsion : elles avaient leur loge à l'année chez nous, où elles venaient une heure ou deux montrer leurs diamants ; mais aux boulevards étaient leurs théâtres de prédilection. Il leur fallait, au moins trois fois par semaine, pour une demi-pistole de catastrophes, d'incendies et de carnages : plusieurs même s'étaient mises au régime d'un assassinat par jour et toutes, sans distinction, toutes devinrent les dames patronnesses du drame de fraîche invention qui sa^déployait là avec son luxe d'énergie et de mauvais goût... C'est ici le cas de faire un grand acte de conscience : je suis de la Comédie-Française, mais, avant tout, j'appartiens à l'art... et je puis dire que le mélodrame fut un rude coup porté à la routine. Pour grandir, il manqua au mélodrame un comédien de génie. » (Tome VI, chap. IV.)