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132 LE MÉLODRAME

.Mais Saint-Romain s'adressait aux jeunes auteurs, qui avaient à peine conquis leur droit à pénétrer sur la scène, et il leur répétait volontiers cette leçon :

— Vous cherchez des sujets, bien sombres, bien ter- ribles de tous les côtés, et vous les avez sous la main. Allez au Palais, lorsqu'on y juge des assassins, des empoisonneurs ; en sortant, arrêtez-vous sur une place, s'il y a quelque exécution ; allez, de là, méditer sur la Grève; en revenant, entrez à la Morgue, vous re- poser un instant,' puis passez devant l'HAtel-Dieu et les Enfants-Assistés ; si vous avez le temps, poussez jus- qu'à Bicôtre pour voir les fous : après cette petite pro- menade, rentrez chez vous, prenez la plume, écrivez avec ardeur, que les événements, les tableaux, les ca- tastrophes se pressent, s'accumulent dans votre ou- vrage, rapppelez-vous ce qui vous a plus frappé dans votre promenade... Vous avez fini... ne relisez pas, et vous aurez un mélodrame qui aura cent représenta- tions (1).

Il encourageait les jeunes auteurs, mais il ne lisait point leurs manuscrits, qui s'accumulaient sur son bu- reau.

D'habitude, c'était son régisseur et factotum Martin qui jetait le premier coup d'œil sur les pièces envoyées au théâtre. Mais Martin avait à veiller à tant de choses, qu'il y avait bien souvent du retard. La pièce qui fît la fortune de Saint-Romain fut découverte par hasard. Le fils du directeur, un enfant de onze ans, était entré dans son bureau pour y chercher du papier blanc. En furetant sur la table, il aperçut un cahier couvert de la plus belle écriture et il l'ouvrit, se lais- sant peu à peu aller à le lire.

Saint-Romain, regagnant son cabinet, y trouva son fils, qui sanglotait.

(1) Jouslin de LasaUe. Souvenirs dramatiques, Bévue Fran- çaise, 1861. — H. Clouzot : Un comédien de province.