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LES GUÉRÊTS EN FLEURS

Ce sont tes reins puissants et ton front accablé !
Toi, grâce à qui toujours la maison sera pleine
D’imitateurs — ô paysans, semeurs de blé !
Ah ! qu’il est vraiment beau ce petit coin de terre
Qui te vit naître, aimer, grandir, pleurer, souffrir ;
Qui moins âpre te fait la tâche héréditaire,
Plus consolant encor le songe d’y mourir.
Ne délaisse jamais la terre maternelle,
Elle est si douce et bonne à qui saura l’aimer !
Car si tu pars, mon frère, une plaie éternelle
S’ouvrira dans ton cœur qui ne peut la fermer.
Là-bas, comme un forçat assujetti sans cesse
À la honte et l’exil, tu ne sentiras plus
L’air libre vivifier le sang de ta jeunesse,
Ni n’entendras la voix de nos doux Angélus !
Brisé, miné, rongé par le remords vorace,
Tu pleureras en vain ta liberté d’antan,
Car ayant oublié le parler de ta race,
Qui donc se souviendra de toi, sombre artisan… ?
Tu seras dans la vie un paria, un traître
Au culte évocateur de tes vieux sentiments,
Et, quand, las de gémir, tu reviendras peut-être
Vers ces lieux méprisés de tes premiers serments,
Hélas ! au front marqué du doigt de l’anathème,
Les enfants te fuiront comme on fuit le danger,
Cependant que ceux-là qui t’ont regretté même,
Diront en te voyant : quel est cet étranger… ? —