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luisant et pâle, coupant le tournant brusque de son mur gris qui s’estompe dans le soir. C’est ce mur et ce tournant tragiques qui ont failli lui tuer son mari l’an dernier, dans un rapide et fou départ d’auto. Elle se souvient du grincement brusque de la machine lancée dérapant sur le macadam blanc, et le choc, qui lui tirait comme un coup de pistolet dans le cœur, pendant qu’elle restait là, ses enfants autour d’elle, à lui crier adieu. Et presqu’aussitôt, il lui revenait, miraculeusement indemne, plaisantant pour cacher son dépit, tandis qu’elle accourait à lui :

— François ! Sûrement, le bon Dieu t’a protégé !

Oui, Il n’avait pas voulu le prendre, là, au bout de cette cabriole sans gloire, Il se le réservait peut-être, pour l’accueillir au ciel avec la phalange des héros… Et voilà que surgit dans la douceur du soir, la figure transfigurée de son mari, couronnée de rayons…

Elle frémit, elle joint ses mains ardentes, elle prie ; l’excès de sa haine aussi est grand comme une prière… Le grondement lointain du canon l’accompagne d’une sourdine de cantique, et dans ce sourd tumulte, elle sait reconnaître le fier canon belge, tonnant en majeur, pour le droit et pour la justice. Mais quand la terre tremble, violée dans sa tranquillité auguste, son cœur tremble avec