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souffle de la douleur a terni l’éclat. Toute ma beauté, elle l’a volée. Ma grâce ne peut pas être sérieuse, tu l’as dit bien souvent. Je me suis fanée, j’ai eu trop soif. Et puis, je ne pourrais plus me parer, ni courir, ni jouer, ni rire sous ton baiser. J’ai oublié le rire. Tu sais, maintenant, on ne voit plus briller mes dents, et mes joues sont creusées ; c’est comme si l’horrible feu de ces batailles lointaines avait poudré mon visage de cendre fine.

Regarde. Je viens doucement te dire un tendre adieu, de mes yeux, de mes lèvres, de mes mains jointes pour t’étreindre. Et quand tu te souviendras, tu me verras ainsi, te souriant, t’implorant, haussée à travers les espaces, atteignant ta chère bouche, et te disant : merci !

Tu m’as été fidèle, chéri ; tu me le serais encore, j’en suis bien sûre. Ce n’est pas toi qui m’abandonnes. C’est moi qui suis partie…

J’ai essayé pourtant de soigner mon visage précieux quand la peur m’est venue de te perdre. Je me suis fatiguée. Je ne peux plus maintenir pour toi ma figure : je l’ai laissée tomber, comme une actrice fourbue qui ne veut plus affronter la rampe. Laisse-moi me reposer.

Et toi, André, tu ne seras pas triste ; il y a beaucoup de femmes plus jolies et plus gaies ; tu détestes tant, aussi, de voir pleurer ; et, bien sûr, je pleu-