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Et puis, tu es parti, et moi, je suis rentrée au salon, tandis que, très respectueux, le valet revenait m’en ouvrir la porte.

Et alors, André, je suis restée seule au monde. Tu sais, la vie, c’était comme un caveau qui s’ouvre. Les jours n’étaient que d’autres nuits plus claires… J’ai pleuré. Mais personne ne m’a entendue… Quand j’ai été lasse, je me suis tue, parce que mes yeux saignaient. J’ai posé ma tête sur le dossier de ma chaise, et je me suis tue. Le temps a passé. Je suis restée là, les mains aux genoux, à écouter le temps passer. Je ne savais rien, je ne lisais rien, je ne pensais à rien ; je ne pensais même pas à toi, ma pensée s’était arrêtée sur ton nom et s’y était épuisée. Un jour, sous ma fenêtre, des soldats allemands, tout gris, le casque sous housse, déambulèrent tranquillement : Bruxelles était occupé. La ville est devenue morte ; les gros marronniers du boulevard ont tourné au roux, puis leurs feuilles sont tombées ; l’hiver venait. Et j’étais toujours à ma fenêtre, et je pensais ton nom. Mes paupières, et mes lèvres, et mon cœur n’étaient plus baisés, ils avaient froid…

Patrice, très patriote, très gentilhomme, son nom en tête des œuvres charitables du pays, passait à leurs comités plusieurs heures par jour,