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se retournait, tout d’un coup, comme une poupée, et elle recommençait. Ça doit être un monsieur, je pense, elle se tortille assez pour ça. Ma main me démangeait déjà. Je restais là, avec mon filet et mon parapluie, et le soleil qui me tapait sur ma tête nue. Et voilà, Mademoiselle, qu’il sort de la Pass qu’on l’appelle, où ils donnent des billets pour voyager, un grand Allemand en paletot gris, un long, avec une bande rouge à sa casquette, et une peau comme une dame, toute blanche, et une badine dans la main. Et puis, Mademoiselle, ils sont partis ensemble, Adèle et l’Allemand. Adèle s’est mise à marcher en sautant près de ses longues jambes, et ils sont partis. Mademoiselle, je suis restée là, avec mon filet et mon parapluie. Et Adèle s’en allait avec l’Allemand. Alors, tout-à-coup, j’ai pensé que je ne saurais plus les voir tantôt, et je me suis mise à courir après eux. Je suis lourde, n’est-ce pas, et mes varices sont là, et puis c’est comme si j’avais reçu quelque chose sur la tête : je courais, mais je ne savais pas courir. Je voyais la jupe d’Adèle qui bouffait près des jambes de l’Allemand. Adèle ! que je crie, mais je ne savais pas crier. Monsieur ! que je crie, Monsieur ! Alors ils ont tourné un coin. Et juste, leur musique venait sur moi, comme un opéra, avec un gaillard par devant avec un grand bâton, une espèce de