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qu’elle travaille, elle peut bien une fois sortir propre, comme les autres. Je la crois, Mademoiselle ; je la crois toujours parce que j’ai peur de ne pas la croire, et puis, qu’on n’a plus de goût à rien. Je reste là, avec mes coudes sur la table, à ne pas penser, comme quand on a trop de peine et qu’à force de tourner dans la tête, les idées s’arrêtent. Adèle cherchait son souper sur le feu, toute brusque, et réclamait sur tout, en marchant sur la pointe des pieds à cause de ses belles bottines. Il faut vous dire que c’est vrai : je négligeais mon quartier, il y avait haut de poussière par terre, et le manger c’était comme ça venait : du riz, Mademoiselle, du rutabaga qu’on invente maintenant, tout des choses nouvelles, et pas de soin encore, c’était comme trop que ça soit bon. Adèle réclamait, poussait son assiette, qu’elle n’en voulait plus, que c’était du manger de bêtes, et qu’elle en avait assez de la maison. Et voilà qu’elle parlait, qu’elle parlait, avec des mots qui lui remplissaient la bouche, et que c’est comme si ça lui pesait sur l’estomac, et que ça partait en une fois. Elle ne savait plus avoir son haleine. Elle avait ôté son costume, elle restait là en petit jupon, avec sa camisole ouverte, et ses deux bras croisés qui lui gonflaient la poitrine par dessus, et sa figure toute rouge comme si elle avait couru. Elle était jolie