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On était si tranquille. Bruxelles, n’est-ce pas, c’était toujours kermesse. Et un jour, voilà qu’ils entrent chez nous, dans notre pays, qui est comme qui dirait notre jardin à nous, avec leurs canons, avec leurs fusils, avec leurs couteaux, avec leur tonnerre d’attirail, et qu’ils se mettent à nous tuer nos hommes qui étaient tous courus leur crier d’arrêter, comme de juste ! Et puis, ils brûlent les maisons, qu’on dit qu’il y a des ruines partout ; on raconte qu’ils tuent les petits enfants, et voilà qu’ils s’installent chez nous comme des maîtres. Il n’y a plus qu’eux qui a des voitures. Et quand ils viennent acheter une crème à la glace, il faut la leur servir, et un oubli avec ! On ne peut même pas sortir le dimanche avec le Roi sur le paletot. Et ils nous prennent le manger, on ne sait plus quoi devenir, c’est tous les jours un peu pire, que des voisins à moi, des gens bien, vous savez, s’en vont avec leur pot à la soupe, comme des pauvres… Eh bien, ils me l’ont tué. Ernest, qu’il s’appelait. Le dimanche, on l’aurait pris pour un monsieur. C’est sûr, je le gâtais, il me coûtait autant qu’il rapportait. Mais sans mon homme pour boire, on était quand même riches. Les boules, on ne peut pas dire comme le commerce va bien. Ça bricole toujours des sous, les gosses ; et des sous, pour eux, c’est des boules tout de suite. Ils me l’ont tué