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peu ; puis la montée somptueuse de l’escalier, dans la douceur fauve des tapis ; enfin, du palier où l’attend un maître d’hôtel dédaigneux, un battant clair de porte s’ouvre : il s’avance machinalement. Une tiédeur, un parfum l’accueillent. Encadré de dentelles, le couchant d’or meurt dans les croisées ouvertes, tramant de la lumière aux angles des meubles précieux.

— Madame est encore à table. Si Monsieur veut s’asseoir un instant, elle ne tardera pas à venir…

Francis Watts reste là. L’entrée subite, la rapide montée, ce silence, cette solitude, après cette progression de décors, lui donnent une impression confuse, irréelle. Il reste étourdi, attendant, les yeux fixés sur le battant refermé de la porte. Puis, insidieusement, les choses autour de lui l’appellent : les choses de Nine, choisies, touchées, aimées par elle. Il regarde. L’ensemble, le cadre magnifique d’abord le frappe ; puis le détail surgit : la grâce savante d’un coin de tête à tête, d’une douceur de nid dans la protection du paravent au petit point. À l’angle de la fenêtre, inondée d’un dernier jet de soleil, une bergère garde dans ses plumes l’impression d’un corps indolent. Auprès, quelques bibelots familiers, une glace à main, la houppette d’une boîte à poudre soulevant le couvercle d’or, des