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François, après un silence. — C’est bien.

(La femme se retire avec de longs regards sournois et satisfaits. François n’a pas bougé. Il tient l’enveloppe dans sa main. Il la regarde. Enfin d’un effort immense de ses doigts, il l’ouvre, déplie la lettre, essaye de lire. Mais il n’y arrive pas. Il doit se rapprocher du flot de lumière, à la fenêtre. Là, il parvient à distinguer les premiers mots : « François, je suis venue… » Il ne continue pas. Les mots semblent l’avoir paralysé. Il reste là, avec des traits immobiles, un effrayant visage sculpté où la chair épouse les os, où les orbites bayent comme des trous ; on sent le cœur, envasé, refusant son service à l’organisme congelé ; pourtant, il se reprend à battre, et François à vivre. Une petite sueur lui perle au front, il respire vite, épuisé. Il dit, d’une voix entrecoupée : « Pas encore. Madeleine va venir… » Tout-à-coup, il dresse la tête, il écoute, il suit d’une oreille sur naturellement aiguisée un pas léger sur l’escalier, l’imperceptible frou-frou d’une robe, l’approche sur le palier ciré de quelqu’un qui enfin, très doucement, ouvre la porte, entre, la referme.

C’est Madeleine. Elle a les mains nues, la tête nue ; sortant de la robe noire, un jeune visage pâle dont les yeux, ardents et doux, s’arrêtent, très calmes, sur François immobile. C’est entre leurs yeux, dès ce seuil, un regard énorme, presque sans vie, d’où la