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XXXIII


Mademoiselle Laure est là. Son fils est mort. C’est moi qui dois le lui apprendre.

Elle entre dans mon salon, un peu gauchement, défiante, l’œil armé et buté. Que vais-je dire ?

J’ai sa main, je l’attire, je prends son bras, son épaule, sa tête. Je couche contre moi ce corps hésitant, qui s’affole, et résiste, et s’abandonne enfin en comprenant…

Vous n’irez pas près des étangs. Je garderai mes bras autour de votre corps, Mademoiselle Laure ! Et puis, ensemble, tout bas, comme des enfants rebelles et tremblants, nous apprendrons à épeler les grands mots auxquels nos aimés ont offert leurs vies. Nous les dirons dans nos cœurs exténués, plus haut et plus fort, pour être dignes d’eux et dignes de nos morts : Pour notre Roi, pour la Patrie… Pour Dieu !


XXXIV


Moederke passe, portant des bruyères. Et le vicomte m’accoste en toussant. Deux soldats allemands, sales, les bottes lourdes, me dépassent, en