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pas dur ; rien ne me semble dur. C’est cette femme qu’on appelait Jeanne qui va chez Colette, lui faire sa visite de condoléance.

Il faut marcher dans cette rue sonore et calme, où les maisons ont un air de gravité douce. Il faut sonner à cette porte vernie. Un jour qu’il pleuvait fort, j’y ai sonné aussi, il y a longtemps. Et Jean m’a menée près du feu. Il faut traverser le porche, et le marbre du hall. Il faut voir passer, dans la glace de la console, une robe claire, sans voile de deuil, et un visage composé de visiteuse compatissante. Jean avait trouvé le damas de cette banquette dans une boutique au fond d’une impasse ; il aimait le crissement de ces fleurs brochées, sous le frôlement de sa main.

Comment ! mais c’est la porte de Jean qu’on m’ouvre… Colette reçoit dans le cabinet de Jean… Non ! Non ! pas cela ! Il ne faut pas permettre à Colette une horreur pareille… Comment veut-on que je supporte une horreur pareille ? Colette vole la chambre de Jean, elle s’installe dans le tombeau de Jean pour y parler et y faire du bruit…

La grande pièce assombrie porte sa douleur avec une noble dignité. Elle reste jusqu’à la fin digne de son maître, m’impose le respect et la résignation. J’y pénètre lentement.

Il y a du monde. Un homme, deux femmes, qui