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miration pour la mère et pour le fils, et j’en rebattais les oreilles à Jean. Mais je tressaillis de plaisir en sentant pour la première fois glisser dans son acquiescement une ombre amère de dédain… Car c’est mon amour qui a empoisonné l’amour de Jean pour Colette… C’est moi qui me suis introduite chez lui, comme une voleuse, jusqu’à son âme… Je ne savais pas. Et si je l’avais su ? N’avais-je pas soif, une soif de feu, et n’était-il pas le vin de ma vie… Mais aussi, ne m’a-t-il pas marquée du premier jour, retenue brutalement pour lui, ne m’a-t-il pas dit en me liant : c’est toi que je veux ?

Je ne savais pas, je ne savais pas ; j’avais soif et j’ai bu…

Et puis cela a éclaté. L’ivresse de tout ce vin…

Un jour d’été gonflé de chaleur, immobile, écrasant. Nous étions tous trois dans le cabinet de Jean, une grande pièce peu meublée, où tout était confort et beauté, une pièce composée par un homme sans les énervements de recherche féminine, une chambre belle, amie, impassible, une chambre que j’adore, dont je baiserais le bois, l’étoffe, le bronze et le fer. On-avait fermé les volets, de grands volets mal rejoints, qui laissaient passer une croix de feu de l’après-midi royale. Nous avions pris le café ; Colette, rose, s’éventait,