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mencé en sincérité, sauta à pieds joints dans l’intimité. Jean me confessait amicalement ; je me livrais en toute simplicité. Nous nous parlions bas, nous questionnant par monosyllabes, répondant d’un sourire, d’un battement de cils, du silence parfois, sûrs de nous faire comprendre. Nous n’étions occupés qu’à modeler l’une sur l’autre nos deux âmes. Notre début d’amour avait la quiétude et l’innocence d’un paradis. Jean me parlait de mon mariage, me chapitrait, discutait un prétendant, approuvait l’autre. Il avait la certitude inconsciente de me garder, et discourait généreusement de me donner… Inconsciemment aussi, la drôlerie de cette préoccupation me mettait en gaieté, me soulevait de joies hilares d’enfant ; la rencontre seule de son regard me faisait partir en fusées de rires énervés. Alors seulement commença la hantise de sa présence, le besoin gai de lui comme d’un stimulant nécessaire à ma vie. Et hypocritement mon instinct me servit, m’offrit les moyens de le voir. Je me persuadai de tendresse pour Colette ; je ne pouvais me passer d’elle ; ses moindres actes avaient pour moi un attrait prodigieux. Le petit Denis aussi, grand de ses trois ans idolâtrés, m’inspirait une fièvre de passion. Je devins l’indispensable de la maison, associée à leur vie jusque dans mes rêves. Je me grisais d’ad-