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rence qu’elle ne ressent pas, la laissant libre et négligemment approuvée, heureuse et sûre d’elle.

Et par Colette, j’ai su les caresses de Jean, et les mots qu’il lui disait, le soir, en revenant du bal… Et j’ai souffert. Et j’ai pensé, amère : Personne n’a caressé mes cheveux et ne s’est penché sur ma bouche ; je me garde pour ta pensée ; tandis qu’un minois frais te distrait aussitôt de ton amour pour moi… Et j’ai pleuré furieusement de sentir chez Colette cette aisance harmonieuse de femme désirée auprès de mon inexpérience farouche et ardente. Et puis lentement, au contact de Jean, des idées d’homme, des points de vue d’homme, l’amertume s’est usée ; j’ai appris à négliger les attentions qu’il apportait à sa femme ; à force de penser à lui, j’ai compris le peu qu’il lui donnait, et le moins encore qu’il croyait lui donner… et je l’ai moins jugé par ses actes que par ses intentions. Je suis devenue pour Colette admirative comme Jean, et comme Jean tendrement dédaigneuse. Et maintenant, quand Colette me parle de ses flirtages avec Jean, je puis sourire, la tête un peu baissée, et le cœur pacifique.

— Mais croyez-moi si vous voulez, Jeanne, reprend Colette, et elle tourne vers moi ses yeux dorés, tout pailletés de feu inoffensif, qui subitement s’arrondissent, sérieux : à travers toutes