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de cette vermine d’Allemands ? Ils m’ont arraché le médaillon du roi, ma chérie, en plein boulevard, une scène inouïe… Ce petit toast, je peux ? Voilà le beurre introuvable ; ces fermiers sont ignobles, n’est-ce pas…

Colette est éreintée, oui ; elle a déjà ficelé des paquets d’épiceries, quêté au panier pour les pauvres, distribué des vêtements, servi la soupe ; enfin, Colette se dévoue, se multiplie, elle sert la patrie ; c’est très bien, ses Comités sont « select », elle est satisfaite d’elle-même. Mais ces gens sentent mauvais : pourquoi ne se lavent-ils jamais ? Et la Duchesse lui a dit un mot charmant, où il s’agit de boches et de boudins. Et les nouvelles sont épatantes, et la guerre sera finie dans quinze jours. Et moi, Jeanne, j’ai une mine superbe, reposée, une peau de femme sans soucis…

Je connais toujours par le menu l’élégant enchevêtrement des phrases de Colette quand elle débarque. Elle vient du monde, elle dégoise en une fois la petite excitation cavalière qu’il lui donne, voulant singer tout ensemble la causticité de Madame T., la galopade de poule aveugle de Madame de M. et le patriotisme à gros mots de la Comtesse S. Après cela, elle se repose, satisfaite.

Colette, la femme de Jean, est jolie, fine, occupée d’elle avec un plaisir toujours nouveau,