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ennuyeuse, la vieille fille. Ils s’en sont retournés chercher ailleurs, palper d’autres intimités. Ils n’ont pas su délier l’amour du scandale, et m’ont fait grâce des deux. Et je suis restée, ininquiétée, à orner pour toi, pour ton repos, pour une heure de détente, ma petite maison où chaque meuble, chaque objet n’est placé là que pour ton plaisir ou ton délassement.

Et puis, dans la brûlure de cet août 1914 implacable et radieux, la guerre s’est abattue sur notre Belgique riante et quiète. Tu as attendu quelques jours, dans un malaise que je sentais grandir à chacune de tes visites énervées. Avant toi, j’ai su que tu allais partir. J’ai regardé, pour me rassurer, le poudroiement gris de tes cheveux et les deux plaques blanches à tes tempes minces. Mais j’ai vu aussi le feu lent de tes yeux, et la violence de tes longs doigts, et je n’ai pas essayé de lutter. Nous n’avons rien dit. Je t’ai seulement entouré de douceur, pour que tu te souviennes.

— Vous ne pleurerez pas Jeanne ?

— Si cela vous fait plaisir, je ne pleurerai pas.

Jean dit :

— J’aime mieux. Je voudrais penser à votre petit logis intact, sans heurt, ni abandon ; et vous calme comme lui, avec vos cheveux bien lissés et vos yeux de paix.