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n’ai jamais pensé à écouter. On est trop penché sur son propre cœur pour écouter le cœur des autres…

Voyez, les larmes n’ont pas réussi à laver le bleu de ses yeux, un bleu encore tout jeune ; ils ont dû être très beaux, quand elle aimait : ils sont encore très beaux… Mais, c’est vrai, Grand’Mère aime…

Pardon, mon ami, je ne vous ai plus écouté… Je me demandais pourquoi, moi qui manquais d’amour, je ne me suis pas blottie contre cet amour qui me côtoyait… Je me demandais pourquoi, moi qui manquais de joie, je ne me suis pas mieux réjouie que ma chair ait pu offrir une chair de consolation à cette mère désertée, rendre un enfant à cette femme sans enfant…

Oui, je pâlis, c’est vrai… je crois que j’ai mal. Vous me parlez de notre bonheur, et je ne lui trouve plus le même goût… vous me dites qu’il sera fort et actif et rayonnant, créateur d’autres bonheurs… et puis je pense à Grand’Mère…

Je voudrais m’en aller, ne plus parler de notre bonheur ici… Je n’aime pas regarder Grand’Mère jouer avec son petit-fils…

Comme elle le tient serré sur ses genoux ! Comme elle le contemple, comme elle le défend… elle semble craindre que lui aussi, comme l’autre, on ne vienne le lui ravir…