turino de Bergame derrière lequel marchaient des populations entières, de vingt autres, comme saint Réginald, saint Raymond de Peynafort ou saint Vincent Ferrier (tous dominicains, notez-le), — on comprend que de tels effets ne s’obtiennent pas avec des distinctions académiques et des subtilités d’argumentation. Ces grandes voix s’adressaient à un élément plus sensible et plus facilement excitable que la triste raison : c’est le cœur qu’elles visaient et frappaient à grands coups.
Nous ne nous faisons plus l’idée de l’émotivité des foules au moyen âge, de leur faculté d’exaltation, de leur état d’illuminisme, de leur promptitude à marcher, à se mobiliser à la suite d’une idée, d’un fantôme, d’un mirage. Tout le XIIIe siècle est traversé par ces grandes houles, par ces mystérieuses lames de fond qui transportent parfois les peuples et causent les migrations. L’homme, si longtemps attaché à la glèbe, s’en arrache comme une poussière, en longues colonnes flottantes que chasse un esprit tout-puissant : la terre se mélange de ciel. Faut-il vous rappeler la croisade des enfants, la croisade des pastoureaux, ces jacqueries mystiques, ces phénomènes inexplicables qui soulevaient des multitudes éprises et altérées d’un songe ? Ils partaient, les yeux pleins de la Terre Promise, et à chaque village demandaient si c’était là Jérusalem : ils croyaient, ces enfants, que comme jadis devant Israël, la mer s’ouvrirait devant eux afin de se laisser traverser à pied sec. Ils attendaient le miracle. Le miracle, n’était-ce pas leur sublime confiance ? On n’eut jamais de leurs nouvelles : nul ne sait ce qu’ils sont devenus. Absorbés par un rêve, ils s’évanouirent comme un rêve. Qui n’envierait le sort de ces doux extasiés ?
Des contagions pareilles ne cessent de renaître. En 1260, ce fut la grande flagellation : la terre s’enivra d’une