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occupait la pensée, ce qui faisait le fond de la vie, c’étaient ces crucifix, ces Vierges, ces tombeaux ; les grands personnages de l’existence, c’étaient ces saints, ces saintes, ces apôtres, ces martyrs, ce personnel céleste qui apparaît au ciel des imaginations, comme chaque soir, après le tumulte et la poussière du jour, se montrent au front des nuits les mêmes constellations.

Ainsi, soit qu’on la regarde du point de vue des faits ou du point de vue de l’art, l’histoire change d’aspect. Quelques hommes ont été des saints, quelques autres des scélérats : un petit nombre est né pour enchanter le monde ou pour l’ensanglanter ; mais la plupart est cette multitude sans nom, cette masse profonde dont on ne parle pas, qui laisse peu de traces, et sur laquelle pourtant repose l’œuvre divine. C’est pour elle que l’art vient porter témoignage ; et ce témoignage en somme est à l’honneur de notre espèce. Grâce à l’art, on peut croire que la somme du bien, dans ce triste univers, l’emporte sur celle du mal. Tandis qu’une poignée d’ambitieux bouleverse le monde et l’emplit de violences, de désastres et de crimes, l’immense peuple chrétien n’est occupé au moyen âge que de quelques objets simples et invariables ; il ne songe qu’à cultiver ses rapports avec l’infini. Le grand intérêt de sa vie est de pénétrer chaque jour davantage dans les choses idéales. L’idée de la douleur et celle de la mort, la pensée du péché et celle du salut, le grand drame de la rédemption, le sens de nos destinées, voilà ce dont a vécu la conscience de ces myriades obscures. Elles ont laboré quelques-unes de nos plus précieuses notions morales : elles ont perfectionné les sentiments humains.

Voilà ce que nous enseignent les monuments de l’art chrétien, ces Christs, ces Pitiés, ces Madones de nos églises ou de nos musées, ou qui parfois, au fond d’une