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le sait bien : cette race de don Juans a passé sa vie à diviniser l’amour, elle l’a placé sur les autels : mais c’est Murillo qui lui a donné son objet.

Et qu’on ne dise pas que c’est là un succès facile, fait pour moitié de bigoterie, pour l’autre d’un sentiment peut-être trop humain. Qu’on ne reproche pas à l’artiste même ses petits Jésus frisés comme des moutons, ses saint Jean mignards et meringués, ces morceaux un peu mièvres qui respirent quelquefois la sensiblerie enrubannée, l’arôme fade et douceâtre des couvents de nonnes. La peinture religieuse n’est pas faite pour les superbes et pour les dilettantes ; elle s’adresse au cœur des enfants et des femmes : ne rougissons pas pour Murillo qu’il soit leur peintre favori.

D’autres préféreront des maîtres plus austères : Port-Royal eût pris en pitié ces œuvres efféminées. Mais peut-on poser le goût de cette noble école en règle de la beauté sacrée ? Philippe de Champagne est le portraitiste incomparable d’une magnifique race morale, l’historien d’une tribu sainte ; et il a fait un jour dans une heure d’émotion et d’épanchement unique cet Ex-voto du Louvre où deux femmes en prières, pâles sous le scapulaire blanc et sous la guimpe noire, illuminées d’une lueur du dedans, ainsi qu’une double lampe d’opale, paraissent transfigurées par l’attente d’un miracle et par la certitude d’on ne sait quoi de surnaturel. Mais dans ses grandes compositions, dans la Cène du Louvre, dans ses tableaux de piété, quel manque d’imagination ! Quelle indigente poésie ! Que ce jansénisme raisonneur a mal servi l’artiste ! Admettons que Champagne s’inspire d’une théodicée plus pure : mais qui osera le mettre comme peintre religieux sur le même rang que Murillo ? Qui voudrait que cette religion disputeuse et parlementaire eût été celle de la molle Séville ?