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dans ses tableaux. Il y a des natures mortes, des concombres, des laitues, des bassines de cuivre luisant dans des coins noirs, et de beaux éphèbes aux jambes de vierges, aux ailes soyeuses de colombes, qui essuient les écuelles. Il y a des reines adorables qui lavent des teignes hideuses avec une moue de dégoût qui se change en amour. Il y a, près du lit des faibles accouchées, des servantes qui font sécher du linge devant l’âtre, et des anges potelés qui se penchent sur les berceaux. Ce cœur naïf est de ceux pour qui la vie est merveilleuse. Personne n’a été moins surpris par le divin. Personne ne l’a trouvé plus répandu dans l’existence, dans le don même de la vie, sur le front caressant d’une jeune mère andalouse, dans la pitié d’un saint évêque faisant l’aumône à ses ouailles ; sans nul effort, sous son regard, les choses les plus humbles deviennent religieuses. Tout est plein chez lui de couleurs en transformation, de palpitations de nuances dans l’ombre, d’irisations douteuses, où circule, dans l’objet visible, une lueur de l’au-delà.

Comme le grand songeur d’Amsterdam, Murillo est un réaliste dont le cerveau est enclin aux métamorphoses ; comme lui, il a senti que la vraie langue de l’Évangile était la langue populaire[1]. Lui aussi, il nous a narré les paraboles. Il aime les petites gens, les simples, les éclopés ou les laborieux, la maison et l’enfance, le terre-à-terre charmant et grave de la famille. On a trop laissé dire que le protestantisme avait le privilège de comprendre le mariage, la poésie de l’intimité, le prix de la vie domestique. Rembrandt n’est pas le seul qui ait su peindre le Ménage du menuisier : ce motif n’a pas moins de grâce chez Murillo. Un personnage, presque absent de l’art du moyen âge, saint Joseph, prend chez lui une

  1. L’Enfant prodigue, Londres, Stafford-House, et six esquisses au Prado ; cf. Justi, loc. cit., p. 63.