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par un texte ou par une révélation ; nulle part l’esprit humain n’est tenu si étroitement en lisières[1]. On n’attendrait de là qu’un art de serre chaude, artificiel, figé… Résultat : le plus spontané, le plus impressionniste de tous les arts connus. Quels sont les maîtres de nos peintres d’avant-garde ? Greco, Zurbaran, Vélazquez.

Ce serait ici l’endroit, si j’en avais le temps, de retracer la courbe ou l’évolution du catholicisme espagnol. De Greco, le premier des grands maîtres classiques, jusqu’à Murillo, le dernier, on verrait l’idéal religieux, parti de l’extrême sévérité et de la révolte indignée contre la nature et les sens, peu à peu s’adoucir, s’attendrir, pour finir par les effusions les plus lyriques et les plus suaves.

C’était, ce Greco, un Candiote, une manière de byzantin, élevé à Venise, dans le milieu semi-puritain d’où sortit le Concile de Trente[2]. Il était le disciple de ce Tintoret, qui vers la fin de sa vie ne voulait plus peindre qu’en blanc et noir, et qui passait son temps dans un réduit sans jour, à la lueur d’une chandelle, tout seul et assailli de songes. Déjà cet art s’insurge contre la Renaissance, et la maigreur, l’émaciement, les types tressaillants, fiévreux, semblent avec violence répudier la chair. Tous ces traits, déjà très visibles à Venise chez Greco, s’exaspè-

  1. Cf. W. Stirling. Maxwell, Velazquez et ses œuvres, trad. Brunot, 1865, p. 15 et suiv. « Le but principal de la peinture est de porter les hommes à la piété et de les conduire à Dieu », écrit Pacheco, Arte de la Pintura, Séville, 1649, p. 143. Pacheco, familier de l’Inquisition, est chargé à ce titre de la censure des tableaux. Et c’est le beau-père de Velazquez ! — D’ailleurs, on ne plaisantait pas avec l’Inquisition : voir la mort tragique du sculpteur Torrigiani, à Séville, en 1529, Vasari, t. IV, p. 263, et Justi, Miscellaneen aus Drei Jahrhunderten Spanischen Künstlerleben, Berlin, 1908, t. I, p. 210. Affaire de Greco avec le chapitre de Tolède, à propos de son Christ dépouillé de ses vêtements, ibid., t. II, p. 234 (1577). « Impropriedades que ofuscan la dicha historia y desautorisan et Christo : » il s’agit de la présence des saintes femmes, que le chapitre juge inconvenante.
  2. Cf. M. Cossio, El Greco, Madrid, 1908 ; M. Barrès et P. Lafond, Le Greco, 1911 ; K. Justi, loc. cit., t. II, p. 221-242.