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des Mages, des Pèlerins d’Emmaüs ; et dans chacun de ces tableaux, on s’aperçoit toujours qu’il pensait à quelqu’un, à Rubens, à Titien, — avec le regret continu de n’avoir pas comme eux à peindre de vrais tableaux d’autel. On sent qu’il étouffait dans ce milieu de publicains. Cette société pharisaïque, ce monde d’épiciers, qui le mit à l’index pour cause de faillite et de concubinage, n’est pas celui où devait naturellement s’épanouir la pitié pour les humbles, la religion des misérables ; le Christ de Rembrandt, ce Christ bouleversant de tendresse et d’ingénuité, le divin consolateur de la Pièce aux cent florins, n’est pas le Dieu d’une caste d’armateurs et d’agents de change.

Il y a plus. Devant certaines obscurités de la vieillesse du maître, devant certains tableaux plus « catholiques » que d’autres, on se demande si Rembrandt, vers 1665, ne serait pas venu tenter la chance en Flandre[1], et n’aurait pas été sur le point d’abjurer. Enfin, on trouve vers cette date une série d’œuvres singulières : ce sont des portraits de Cordeliers, — quelque troupe de missionnaires venus prendre passage à Amsterdam pour les Indes[2]. Le cœur de l’artiste a battu en peignant ces visages simples et résolus dans l’ombre des capuchons. À quoi pensait-il alors ? On se plaît à se figurer que, dans son mélancolique taudis du Rosengracht, le Rembrandt des dernières années, parmi d’inexprimables chagrins, a pu pressentir quelque chose de la sainte liberté d’un autre vagabond et d’un autre humilié, et que sa grande âme trouble, solitaire et morose, altérée de soleil et captive des brumes, a été éclairée, à l’heure du crépuscule, d’un sourire fugitif et d’une lueur du Poverello.

  1. Cf. Hofstede de Grodt, Die Urkunden über Rembrandt, La Haye, 1906, p. 449-450.
  2. Bode, L’œuvre de Rembrandt, n°s 482, 483, 511.