Page:Gillet - Histoire artistique des ordres mendiants.djvu/396

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de carnage ou de volupté, et que toute son œuvre respire une animalité grandiose, une atmosphère d’épopée sensuelle et carnassière, où l’on perdrait son temps à chercher quelque trace du parfum des Fioretti. Enfin, il nous a fait sur sa vie domestique et sur les charmes de ses deux femmes, des confidences qui passent les limites de l’indiscrétion, et rappellent les pages les plus libres de la Physiologie du mariage. Dans le drame ou l’histoire, la fable ou la mythologie, rien n’est étranger à Rubens, excepté, dirait-on, une certaine délicatesse sans laquelle il n’est pas de vie morale raffinée.

Pourtant, le portrait est incomplet. Ce parfait cavalier, ce peintre gentilhomme, ce commensal des grands, chargé d’affaires à Mantoue, à Paris, à Madrid ou à Londres, est le modèle de l’ « honnête homme » selon l’idéal des Jésuites, et je ne donne au mot que son acception la plus haute : il avait décoré leur église à Anvers[1], et les quarante plafonds qu’il y exécuta seraient, sans l’incendie qui les a dévorés, un de ses plus beaux titres devant la postérité. Il avait été leur élève autrefois, à Cologne, et ses maîtres pouvaient être fiers d’un pareil écolier : aucun homme ne fait plus d’honneur à leur éducation.

La grande œuvre des Jésuites fut en effet l’organisation de l’enseignement secondaire. Pendant deux siècles, ils eurent la haute main sur la jeunesse. On a dit que le vainqueur de Sedan, c’est le maître d’école prussien ; on dirait aussi justement que le champion de la Contre-Réforme a été le professeur jésuite ; et, comme l’a écrit spirituellement Bœhmer, il faudrait, pour faire son portrait, lui donner comme emblème moins un catéchisme ou

  1. Cf. Rubens, Klassiker der Kunst, t. V, 1905, p. xxxi et p. 194-202.